Selma Reggui est consultante en santé au travail. Entre rapports de force, domination et résistance, elle plonge dans les coulisses des entreprises loin d’être des promenades de santé. Mardi 4 février, Selma Reggui est venue raconter son expérience professionnelle lors d’une conférence gesticulée à la salle festive de Saint-Étienne-du-Rouvray.
C’est devant une salle comble que Selma Reggui a raconté avec humour et sarcasme son expérience professionnelle de consultante en santé au travail dans les entreprises. Partout en France, elle est appelée à la demande des syndicats – plus précisément des représentants du personnel – afin de réaliser une expertise, puis un rapport écrit sur la situation de crise sociale traversée par des entreprises (management, salariés en souffrance, suicides, risques pour la santé des travailleurs).
De longs « préliminaires »
La conférence gesticulée commence par une conversation téléphonique très sportive entre Selma Reggui et un DRH (directeur des ressources humaines). Le public n’entend pas la voix du DRH mais comprend bien qu’il est inquiet et hostile à la venue de Selma Reggui. La consultante en santé au travail rappelle que l’expertise est un droit des salariés que des dirigeants d’entreprises ne comprennent pas ou font mine de ne pas comprendre. Ce DRH ne pouvant pas s’y opposer, il va user de stratagèmes. « C’est là que commencent les préliminaires qui vont être longs, annonce Selma Reggui, avec un sourire. Le DRH essaye de me convaincre ou plutôt de me contraindre de ne pas aller voir tel endroit et voir le moins de salariés possible. »
Le choix des mots
Son expérience de plus de vingt ans lui a appris à décrypter le langage et le vocabulaire utilisés par des dirigeants d’entreprise pour détourner des situations. « De nos jours, une personne exploitée devient une personne défavorisée. Les linguistes ont bien compris l’importance du choix des mots. » Même son de cloche pour le PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) désignant un plan massif de licenciements, « une antiphrase qui dit le contraire de ce que l’on fait. » Un jour, un employeur lui a dit : « Vous savez, on a des salariés fragiles. » Un mot que Selma Reggui ne supporte pas : « Dans le dictionnaire, cela veut dire éphémère et qui se casse facilement. Quelqu’un de fragile désigne un état, c’est le contraire de résistance. »
Lorsqu’elle a fini de rencontrer les salariés et dirigeants, Selma Reggui revient dans son cabinet avec des notes de ses entretiens et des documents « arrachés » à l’employeur. Et elle a (au mieux) deux semaines pour écrire un rapport qui sera ensuite envoyé par mail aux représentants des salariés et aux dirigeants de l’entreprise.
Quinze jours après l’envoi du rapport, la consultante en santé au travail est à nouveau invitée en réunion au sein du CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, supprimé dans les entreprises depuis janvier 2020 par les ordonnances Macron de 2017, à lire dans Le Stéphanais n°267). Elle doit exposer à l’oral ses conclusions en présence de l’employeur. « Si l’employeur est venu seul sans un conseiller juridique, c’est que mon argumentaire ne tient pas la route. Mais avec l’expérience, l’employeur n’est pas souvent seul ! »
Une restitution tendue
Pouvant durer plusieurs heures, ce moment de restitution s’effectue dans une ambiance tendue. Ayant un regard extérieur sur l’entreprise et ne faisant pas partie de syndicats, Selma Reggui met des mots sur des réalités constatées que l’employeur ne veut pas forcément admettre, comme l’attestent ces extraits de restitutions: « Votre système de management expose les salariés à des risques de santé importants. » Ou encore : « Dix-huit salariés font état de pensées suicidaires. » Tandis qu’un l’employeur va lui rétorquer : « Je ne peux pas vous laisser dire ça. »
Soirée de solidarité avec les grévistes
La conférence gesticulée de Selma Reggui s’inscrivait dans le cadre d’une grande de soirée de soutien aux grévistes luttant contre la réforme des retraites par points d’Emmanuel Macron et son gouvernement. Cette soirée solidaire, où chacun pouvait alimenter les caisses de grève par des dons et en achetant à boire ou à manger, était organisée par l’intersyndicale rouennaise. « C’est un petit point festif d’étape parce que ce n’est pas encore fini, on n’a pas encore gagné », a indiqué un organisateur.
Après la conférence gesticulée, un podcast (reportage sonore) de L’Acentrale (plateforme de radio mutualisée dédiée aux voix du mouvement social depuis le 5 décembre 2019) a été diffusé et comportait des sons et témoignages d’actions rouennaises. Puis trois groupes de rock se sont succédé sur la scène de la salle festive: Docteur Carotte, Hasta Siempre, Sol y sombra dos.
Dans la salle festive, le public pouvait admirer et acheter des affiches artistiques sur la grève, réalisées par le collectif Art en grève Rouen et découvrir un diaporama montrant des photos d’actions et manifestations dans l’agglomération rouennaise depuis le 5 décembre 2019, ce qui permettait de visualiser tout le chemin parcouru depuis.