L’hôpital du Rouvray célèbre ses 200 ans. De « l’asile d’aliénés » d’antan au centre hospitalier d’aujourd’hui, l’histoire de cet établissement retrace l’évolution de la psychiatrie et du regard de la société sur les maladies psychiques.
En 1822, le tout premier « asile d’aliénés » de France voit le jour dans la campagne voisine de Rouen, sur le site actuel de l’Atrium, au 115 boulevard de l’Europe. Pour l’époque, c’est une révolution : « Il n’existait pas de lieu destiné au soin des malades psychiques. Ils erraient dans les rues ou étaient enfermés dans des cellules insalubres à l’hôpital général ou en prison », explique Astrid Descourtieux historienne à l’université de Rouen. La création de l’asile marque un tournant dans la prise en charge des patients : « Au dix-huitième siècle, les malades étaient des “insensés” et la maladie mentale une problématique religieuse et philosophique, déclare celle qui est aussi la documentaliste du centre hospitalier du Rouvray. Grâce à des médecins aliénistes comme Philippe Pinel, les troubles mentaux sont sortis du champ de la morale pour entrer dans le domaine médical. »
Au début du XIXe siècle, le Dr Pinel, précurseur de la psychiatrie moderne, plaide pour humaniser la condition des malades. À Rouen, son disciple Antoine Blanche impulse des pratiques salutaires dès l’ouverture de l’asile. Fini le vagabondage ou l’enfermement dans des « réduits étroits, sales, infects, sans air, sans lumière », comme le relate en 1818 le médecin Jean-Étienne Esquirol. Quoique cerné de hautes murailles, l’hospice est alors doté de vastes cours et jardins dans lesquels les patients peuvent se promener, libres de toute entrave. « Les médecins se sont rendu compte que ça avait des bienfaits sur les malades et que même ceux qu’on qualifiait de “furieux” devenaient beaucoup plus calmes. », relate l’historienne.
Mais l’asile se trouve rapidement surpeuplé. Une « succursale » – où sont transférés les hommes – est construite à Sotteville-lès-Rouen en 1854. Vingt-cinq ans plus tard, un hospice pour femmes pousse non loin de là, sur les terres de Saint-Étienne-du-Rouvray. « À l’époque, c’était la campagne. Les médecins pensaient qu’il fallait éloigner les patients de la ville, considérée comme un lieu toxique, où sévissent alcoolisme et diverses maladies. Mais éloigner les “fous” est aussi une idée de la bonne société : c’était mieux de ne pas les voir. La peur de la contagion par l’air des maladies, y compris psychiques, était aussi très présente », confie Astrid Descourtieux.
Faire tomber les murs
En 1920, les deux asiles sottevillais et stéphanais fusionnent en un seul hôpital. Pour améliorer le confort des patients, l’ancêtre du centre hospitalier du Rouvray s’équipe de sanitaires et d’un système de chauffage central. Mais l’embellie est de courte durée : pendant la Seconde Guerre mondiale, des bombardements détruisent 60 à 70 % des infrastructures.
La reconstruction laborieuse de l’hôpital s’accompagne de changements majeurs dans la prise en charge médicale, révolutionnée par l’arrivée des neuroleptiques dans les années 1960. « C’est aussi la période où la psychiatrie de secteur est mise en place, ajoute Astrid Descourtieux. Le soin se fait désormais aussi hors les murs grâce à des structures extra-hospitalières – hôpital de jour, centre médico-psychologique, appartement thérapeutique, hospitalisation à domicile, etc. – Tous ces soins ambulatoires ont permis de réduire fortement le taux d’enfermement. » D’après l’observatoire 2021 de la santé mentale, une personne sur cinq est touchée chaque année par un trouble psychique.
Des engagements contre « des conditions d’accueil indignes »
Depuis la parution en 2019 d’un rapport accablant sur les conditions de séjour des patients au sein du centre hospitalier du Rouvray, l’hôpital multiplie les initiatives pour enrayer les dysfonctionnements constatés.
Publié le 26 novembre 2019 au Journal officiel, un rapport de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dénonce des « conditions d’accueil indignes », se manifestant notamment par des unités de soin surpeuplées, des atteintes à la liberté de circulation des patients, y compris ceux admis en soins libres, ou encore des mesures d’isolement et de contention « portant gravement atteinte à la dignité humaine ».
Suite aux recommandations en urgence de la CGLPL, le centre hospitalier du Rouvray a indiqué remettre certaines de ses pratiques en question : pour limiter le recours à l’isolement et à la contention, des « espaces d’apaisement » expérimentaux seraient testés dans trois unités. La direction s’engage également à supprimer les hébergements en chambre triple ou dans des espaces inadaptés. Pour mieux informer les patients sur leurs droits, des kits d’admission doivent être proposés dès le début de l’hospitalisation. Un comité éthique devrait également se pencher sur les modalités d’accès au parc pour les patients en soins libres.
Ce plan d’action s’accompagne d’une campagne de recrutement de soignants pour essayer d’enrayer le sous-effectif au sein de l’établissement psychiatrique, source de vives tensions sociales.