Portraits de trois travailleuses et travailleurs qui vont souffrir de la réforme des retraites.
Dans les récentes manifestations, on aura croisé tout le monde : des enfants avec leurs jeunes parents, des ados, des adultes de tous âges, des retraité·es et d’autres qui aimeraient bien l’être. Les actives et les actifs de plus 50 ans sont qualifié·es de « seniors » par le monde du travail, qui tend en France à les écarter de l’emploi. Certains veulent travailler mais sont forcés au chômage. D’autres travaillent mais rêvent de la retraite. Certains s’épanouissent au travail, d’autres en ont assez.
Certains s’en sortent bien et d’autres survivent dans la précarité. Autour de la soixantaine, tous ont sans doute autre chose à vivre que de continuer à trimer pour des trimestres. Ce ne sont pas que des cotisants, des anonymes transformés en statistiques sur une ligne budgétaire. Ils seront les premières victimes, parmi beaucoup d’autres, de la réforme Macron. Ils méritent le respect.
Fabienne Riveault
(photo ci-dessus)
« J’ai la passion de mon métier, j’aime le contact avec les enfants », précise très vite Fabienne Riveault, qui est Atsem à l’école maternelle Paul-Langevin.
Elle travaille depuis l’âge de 18 ans, d’abord dans le privé avec un statut de vacataire, puis agente municipale depuis une trentaine d’années. Née en 1962, elle est de la première classe d’âge qui devra travailler plus longtemps si la réforme passe. « J’ai mal pris l’annonce de cette réforme. En 1981, la retraite était passée à 60 ans et maintenant 64… Mon travail demande beaucoup d’énergie. C’est dur parce qu’on manque d’effectifs et que beaucoup de choses changent. Les gens qui ont des petits salaires comme moi ne peuvent tout simplement pas épargner pour leur retraite. L’idéal serait de pouvoir s’arrêter quand on n’a plus de plaisir à se lever le matin pour aller au travail. » Quand elle prendra sa retraite, Fabienne Riveault compte continuer à aller à l’école pour faire de la lecture aux enfants, si son état de santé le lui permet.
Vincent Neveu
Vincent Neveu est entré aux espaces verts de la Ville en août 1980, à l’âge de 16 ans.
D’abord jardinier, il a passé des concours et des examens, jusqu’à devenir responsable d’un des services. Après un burn-out en 2022, il est aujourd’hui employé dans d’autres services de la Ville et devrait normalement pouvoir prendre sa retraite en novembre prochain, à 60 ans, au terme d’une carrière longue. « J’ai fait des simulations, je ne sais pas encore si je devrai faire un trimestre en plus ou non. En tout cas, j’attends la retraite. Ça fait 43 ans que je bosse. La vie nous apprend qu’il faut en profiter… Il y a autre chose que le travail pour se réaliser, des loisirs, des activités bénévoles. Je continuerai à faire de la formation dans la fonction publique. »
Au cours de sa longue carrière, Vincent Neveu a vu des collègues usés au travail. « La question n’est pas de vouloir travailler plus longtemps, mais déjà de pouvoir. Une proportion importante d’agents est sur des postes aménagés, parce que dans certains services, à partir de 50 ou 55 ans, on ne peut plus tout faire. » Il a manifesté à Rouen, contre un projet de réforme qu’il juge « violent » et trop rapide dans son application. « Il y a d’autres leviers pour financer les retraites, la solidarité nationale devrait jouer. Pourquoi retaper sur ceux qui bossent ? »
Monique Gilles
Derrière son étal de lingerie, Monique Gilles est une figure du marché du Madrillet.
Fille de marchands de fruits et légumes, elle est née à Saint-Étienne-du-Rouvray et ses parents l’amenaient au marché quand elle était bébé, « dans une caisse de bananes comme berceau ». Elle travaille « depuis toujours » et, à 65 ans, elle doit tenir encore deux ans pour prétendre à une retraite complète, mais petite. « Si j’étais partie à 62 ans, j’aurais peut-être eu la même retraite qu’en travaillant cinq ans de plus. J’ai cru qu’en travaillant plus longtemps j’aurais une meilleure retraite, mais ce n’est pas ce qui s’annonce. Avec les réformes, c’est vraiment travailler plus pour gagner moins. On prend les gens pour des enfants, on leur fait avaler n’importe quoi. » Présidente du syndicat des commerçants non sédentaires, Monique Gilles défend son métier dans un contexte difficile : « La hausse des prix des places sur les marchés, le manque de nouvelles marchandises à présenter aux clients depuis le Covid… Le travail coûte cher en ce moment. Nos interlocuteurs ne nous parlent pas des retraites. On ne me demande pas pourquoi à 65 ans je suis encore sur les marchés… Dans ce métier, beaucoup sont usés avant la cinquantaine. J’ai vu des collègues partir à la retraite, ils sont voûtés, ils ne peuvent plus bouger les mains. En France, on parle de la pénibilité du travail, mais on n’en tient pas compte. »