Le non-recours n’est pas lié qu’au manque d’information. Il est aussi généré par la difficulté d’écrire un courrier. Une écrivaine publique aide les Stéphanais·es à faire valoir leurs droits.
«Beaucoup de gens renoncent à faire valoir leurs droits parce qu’ils n’ont pas compris les courriers que leur adresse l’administration ou encore parce qu’ils n’osent pas lui répondre avec leurs mots à eux.» Par ce constat, Maryse Pigache, écrivaine publique à la maison du citoyen, dresse le portrait méconnu d’une société où le non-recours continue de priver de leurs droits des millions de personnes en France. Selon le Secours catholique, 40 % des Français et 59,5 % des étrangers que l’association a rencontrés en 2016 n’avaient pas fait leur demande de RSA alors qu’ils y avaient droit. La même étude montre que 31 % des familles françaises et 43 % des familles étrangères qui pouvaient bénéficier des allocations familiales n’en ont pas fait la demande sur la même période. « Je passe mon temps à aider les gens à écrire à la Caf, à la Carsat, à Pôle Emploi, au Trésor public, etc. En mettant un écrivain public à disposition des citoyens, la Ville participe à la lutte contre le non-recours », indique Maryse Pigache. Loin donc des clichés qui voudraient que les allocataires de minima sociaux « profitent » du système, l’écrivaine publique stéphanaise fait le constat inverse. Ce serait plutôt le « système » qui, en l’occurrence, profiterait de la détresse de ses allocataires potentiels afin de ne pas avoir pas à leur redistribuer les ressources auxquelles ils ont droit. Voire, ajoute Maryse Pigache, le non-recours pourrait même être sciemment organisé… Dans la ligne de mire de l’écrivaine publique, la « langue » dont use l’administration pour s’adresser aux usagers : « Je trouve la langue administrative inadmissible. Pour moi, c’est la volonté de se rendre inaccessible, de se mettre en position de supérieur et tout-sachant face à l’usager. »
Langue administrative
L’agente stéphanaise voit ainsi passer devant elle des personnes déroutées par des tournures administratives telles que « bénéficier de la réduction afférente » ou encore par des termes pour le moins alambiqués comme « sous réserve que » ou « au vu de » qu’un simple « si » ou « puisque » rendraient plus digestes. Face à cette langue hors sol, les usagers ne savent parfois plus comment répondre : « Les gens pensent que s’adresser à l’administration nécessite la maîtrise de certaines tournures. Je les rassure, ils peuvent le faire avec leurs mots. C’est la trace de l’écrit qui compte. Ils peuvent se faire confiance. »
Illectronisme
À ce phénomène guère nouveau, s’ajoute un autre lié à la dématérialisation croissante des administrations. Dans un rapport de janvier 2019, le Défenseur des droits rappelle que la dématérialisation des services publics, si elle « peut [certes] constituer un puissant levier d’amélioration de l’accès de tous et de toutes à ses droits », ce processus peut aussi contribuer à « priver de leurs droits certains et certaines d’entre nous, à exclure encore davantage de personnes déjà exclues, à rendre encore plus invisibles ceux et celles que l’on ne souhaite pas voir ». En effet, si les démarches ne sont accessibles que par voie dématérialisée, via un ordinateur, « même des personnes éduquées et diplômées peuvent renoncer à leur droit, prévient Maryse Pigache. On oblige maintenant les gens à faire leurs demandes via internet sauf qu’il y a des gens qui n’ont pas la connaissance informatique nécessaire ». Ce phénomène s’appelle l’illectronisme et il frappe quel que soit le niveau d’études… « Oui, la dématérialisation a augmenté le non-recours, insiste l’écrivaine publique. Tous les usagers ne savent pas utiliser l’informatique pour faire ces demandes même les plus basiques. Nous ne sommes pas tous égaux face aux ordinateurs. » Pour cette raison, la Ville exclut le tout-numérique de ses démarches administratives.
Maryse Pigache, écrivaine publique, reçoit sur rendez-vous à la Maison du citoyen. Contacter le 02.32.95.83.60.