Une Stéphanaise raconte la révolte populaire qui secoue l’île d’Haïti depuis 2018. Peu médiatisée, cette révolte contre la corruption exige un profond changement du système, alors que le pays n’a plus de Parlement.
Le Stéphanais n°269 de janvier 2020 (pages 18 et 19) a consacré un sujet aux révoltes mondiales ayant éclaté dans le monde en 2019. La rédaction propose plusieurs témoignages complémentaires. De 2011 à 2018, Caroline Bénard a vécu huit ans à Haïti et a travaillé pour une ONG française de développement de l’eau potable et l’assainissement. En juin 2018, Caroline est revenue en France et elle habite à Saint-Étienne-du-Rouvray. Elle est toujours très attachée à ce qui se passe sur l’île et suit la situation à distance.
C’est avec la sortie du rapport sur les fonds PetroCaribe que la contestation a commencé en 2018 et s’est amplifiée en 2019. Mise en place par le Venezuela, cette aide au développement des pays des Caraïbes consistait à leur faire profiter de prix de carburants à des tarifs préférentiels. À Haïti, cette aide s’est transformée en un gigantesque scandale de corruption, l’argent en question étant détourné par des politiciens. Un scandale qui a pris place dans un pays très loin de s’être reconstruit après le terrible séisme de janvier 2010 ayant fait près de 300 000 morts et des millions de sans-abri. La situation a entraîné une crise politique et sociale, avec des Haïtiens manifestant dans la rue pour la première fois, comme l’explique Caroline: « Là, ils ont commencé à prendre conscience que ce n’est plus possible. C’est la première fois, depuis les années de dictature de la dynastie Duvalier de 1957 à 1986, que les gens se sont indignés contre un système qui dysfonctionne.»
Une démocratie corrompue
Le soulèvement populaire s’est donc mis en place avec les petro-challengers, des trentenaires diplômés demandant des comptes aux hommes politiques haïtiens, concernant les fonds PetroCaribe. Ancien collègue de Caroline, James Beltis est l’un de ces petro-challengers. Membre du collectif NouPapDòmi, James Beltis est en première ligne de la mobilisation à Port-au-Prince, la capitale du pays.
Ce militant politique progressiste explique les raisons de cette révolte: « Après le séisme de 2010, beaucoup d’argent a été mobilisé pour reconstruire le pays et assurer une amélioration des conditions de vie des Haïtiens. Pourtant, rien n’a été fait en ce sens et les gouvernements qui se sont succédé appliquent des politiques d’austérité, augmentent leurs privilèges, gaspillent et dilapident les fonds publics. Parallèlement, les conditions de vie de la population, de sécurité du pays et le cadre environnemental se dégradent à cause de la mauvaise gestion des élites politiques et économiques mais aussi de l’international. Nous décidons de prendre en main notre destin, voilà pourquoi nous sommes dans la rue. Nous exigeons des changements radicaux dans la société, nous exigeons une autre forme de gestion de la cité et de la démocratie. »
Une répression politique
Plusieurs modes d’actions sont prisés par les petro-challengers: les réseaux sociaux pour mobiliser le pays, l’organisation de sit-in, de manifestions, de meetings dans le pays et à l’étranger.
Depuis lundi 13 janvier, Haïti ne dispose plus de Parlement opérationnel car les élections n’ont pas eu lieu en novembre dernier. Élu en 2017 avec un taux de participation très faible (21%), le président Jovonel Moïse peut donc gouverner par décrets, ce qui laisse planer l’installation d’un pouvoir dictatorial, avec le soutien des États-Unis et de la communauté internationale, comme le confesse James Beltis: « Notre plus grande crainte, c’est de voir le pays basculer encore plus dans la violence et que nos revendications restent insatisfaites. Aujourd’hui, on entend de plus en plus de citoyens qui pensent qu’on est plus dans une république et que tout se fait en dehors des lois, par la force. Pour stopper le mouvement, le pouvoir arme les gangs et les pouvoirs en argent. Une grande partie de la capitale et d’autres villes du pays sont sous contrôle de groupes civils armés. Et les forces publiques se comportent de plus en plus comme une milice du régime. »
Des petro-challengers déterminés
Malgré cela, James Beltis et les manifestants restent déterminés: « Notre espoir, c’est de voir un procès sérieux sur le dossier PetroCaribe et d’autres crimes financiers ou crimes de sang. C’est aussi de voir la création d’une nouvelle classe politique, formée, éclairée, patriote. »
Même si les paramètres et origines peuvent différer, cette révolte à Haïti présente des revendications communes avec d’autres pays en révolte comme le Chili (article à venir sur ce site): l’instauration de véritables démocraties, la mise en place de services publics de qualité, la réduction des inégalités. Un combat partagé en France et mis en lumière par les Gilets jaunes et le mouvement social actuel contre la réforme des retraites.