Pendant plus d’un an, la documentariste Marianne Lère a filmé de l’intérieur la lutte des derniers représentants du personnel pour sauver la papeterie Chapelle-Darblay, jusqu’à l’heureux dénouement de cette aventure industrielle. Reste à boucler le financement de ce projet qui pourrait débarquer sur les écrans au printemps prochain.
A l’été 2020, à la fermeture de la papeterie Chapelle-Darblay, Julien Sénécal, Cyril Briffault et Arnaud Dauxerre, représentants du personnel missionnés pour offrir au site une chance de reprise, sont loin de se douter qu’ils allaient devenir les héros d’un documentaire intitulé « Chapelle Darblay : ils l’ont fait ! ».
Mais cet attelage baroque, composé de deux élus CGT et d’un autre issu du collège des cadres, a séduit la documentariste Marianne Lère qui a souhaité s’intéresser à cette aventure industrielle dont l’un de ses amis, l’économiste Thomas Coutrot, lui avait parlé en lui disant que du côté de Grand-Couronne « il se passait quelque chose… ».
« Ça m’a frappé au coeur »
Au printemps 2021, celle dont le documentaire en deux parties « Vive le travail » vient à l’époque d’être diffusé sur Arte, décide de se rendre sur place et de rencontrer le trio. « Cette lutte avait du sens sur le plan économique, environnemental et humain. Et tout de suite, ça m’a frappé au cœur », assure la réalisatrice qui ne comprend pas qu’une usine qui fabrique du papier 100% recyclé en traitant jusqu’à 350 000 tonnes de déchet issus de la collecte sélective n’ait pas d’avenir. « Et puis je suis tombée sur trois personnages à la fois très différents et complémentaires qui incarnaient un idéal que j’ai eu envie de filmer ». Sans même savoir si le combat des « Pap’ Chap’ » allait être couronné de succès.
Car en mai 2021, lorsqu’elle commence les premières prises de vue, le site est promis au démantèlement. Le projet Samfi-Paprec, qui doit le reprendre pour y produire de l’hydrogène, a les faveurs du propriétaire, le groupe finlandais UMP. D’ailleurs lorsqu’ils ont vent de ce projet de film, ses dirigeants interdisent à Marianne Lère d’y pénétrer. Ambiance… « Je me suis dit, ça commence bien. Je pouvais seulement tourner à l’intérieur du bâtiment du comité d’entreprise, planté au milieu du parking ». Un lieu à l’atmosphère finalement très cinématographique, devenu au fil des mois le cœur du réacteur où bouillonne le désir de perpétuer une tradition papetière débutée dans l’entre-deux-guerres.
« C’était un peu les montagnes russes »
La réalisatrice a également dû convaincre de se prêter au jeu ceux dont elle voulait raconter l’histoire. « Au début, on a pris ça un peu à la rigolade », se souvient Julien Sénécal. « Nous avions un autre agenda », renchérit Arnaud Dauxerre. « Il ne fallait pas se détourner de notre mission et se laisser déconcentrer en quelque sorte ». Mais rapidement le courant passe. Marianne Lère se fait discrète. Les apprivoise en quelque sorte. Les utilise même à l’occasion pour filmer, magie du téléphone portable, là où elle n’est pas la bienvenue. Elle partage avec eux des tranches de vie, parfois joyeuses. Leurs moments de découragement aussi. « C’était un peu les montagnes russes, avec quelques hauts et beaucoup de bas », assure aujourd’hui Cyril Briffault lorsqu’il se retourne sur ces deux années qui ont finalement débouché sur une victoire avec la décision de la Métropole Rouen-Normandie de préempter le site et ses machines. Puis de les céder dans la foulée au groupe Véolia, associé au papetier canadien Fibre excellence, pour y fabriquer, toujours en 100% recyclé, du papier pour ondulés (PPO) destiné à l’emballage. Tout en générant jusqu’au 20 MW d’électricité grâce à sa chaudière-biomasse.
Si tout va bien, le documentaire lui devrait arriver sur les écrans au printemps prochain. Il reste d’ailleurs une partie du projet à financer, via notamment une cagnotte en ligne. Et quelques témoignages à tourner. Mais, là encore, ça devrait le faire.