La situation économique des entreprises, commerces et artisans stéphanais est très contrastée. Les secteurs de l’événementiel, de la restauration, du bien-être, de la culture et de la communication sont à l’arrêt, avec un recours croissant au chômage technique. Le secteur industriel tient le choc et continue de produire grâce à un renforcement des mesures de sécurité sanitaire. Mais partout, l’inquiétude règne… Le spectre des licenciements se fait de plus en plus présent.
Le confinement impose ses règles sévères à l’économie locale. Rideaux tirés, chiffres d’affaires à zéro, salariés au chômage technique témoignent de cette réalité sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale tandis que d’autres, souvent ceux employant des salarié.e.s précaires et au Smic, comme les livreurs, les caissières, les ouvriers, les agents d’entretien, les chauffeurs, les facteurs, etc., continuent d’assurer leur mission la peur au ventre. Peur d’être malades et peur de contaminer les autres.
Mais parallèlement à cette peur sanitaire, une autre peur gagne la planète, s’immisçant jusque dans les foyers. Et cette peur ne cessera sans doute pas avec la fin du confinement. À l’échelle locale comme à l’échelle mondiale, les instances internationales esquissent des scénarios de déconfinement qui ne s’annoncent pas comme un redémarrage automatique après un arrêt prolongé à un stop.
L’économie mondialisée n’est pas un moteur Stop&Start
À l’échelle mondiale, l’OCDE vient d’annoncer que ses indicateurs «ont enregistré la plus forte baisse jamais enregistrée dans la plupart des grandes économies». Le Fonds monétaire international (FMI) explique quant à lui dans son dernier rapport (avril 2020) qu’«Il est très probable que l’économie mondiale connaisse cette année sa pire récession depuis la Grande dépression [en 1929, ndlr], soit une récession plus grave que celle observée lors de la crise financière mondiale il y a une dizaine d’années [crise des subprimes en 2008, ndlr].»
À l’échelle locale, à Saint-Étienne-du-Rouvray, les entreprises, commerçants et artisans prédisent eux aussi des jours sombres, même si l’horizon du déconfinement, le 11 mai, laisse filtrer quelques lueurs d’espoir.
«Le 11 mai, ce sera la reprise partielle de notre activité, espère Philippe Ressencourt, le gérant du restaurant Le Commerce, nous recommencerons à faire des repas à emporter. Mais ces deux mois de chiffres d’affaires à zéro pèsent déjà lourd sur notre trésorerie. Nos deux salariés sont au chômage technique et nous avons dû faire un emprunt à la banque pour payer nos charges. De plus, nous n’avons pas encore été remboursés des salaires de chômage technique que nous avons avancés.»
Trésoreries en chute libre
L’arrêt total et brutal d’activité touche tous les commerces «non-essentiels» dont la liste est fixée par le gouvernement (arrêté du 15 mars). Franck Lucas, gérant du salon de coiffure Franck coiffure, dit assister «impuissant à la fonte de [s]a trésorerie»: «Nos charges ne sont que reportées pour le moment, et mon propriétaire a refusé de différer mon loyer, aucun cadeau ne nous est fait. Après le 11 mai, les gens vont revenir, c’est sûr, mais on ne retrouvera pas notre chiffre d’affaires habituel en raison de la distanciation sociale qui se prolongera. Toutes les échéances de cotisations vont tomber en même temps et on n’aura pas la trésorerie pour les supporter. Les difficultés n’arriveront pas lors de la reprise d’activité mais dans les mois à venir…» Le salarié de Franck Lucas et son apprenti sont en chômage technique.
Vague-submersion de chômage technique également du côté de l’entreprise LM Communication, basée près du rond-point des Vaches. L’un des deux gérants, Patrick Marais, décrit une situation critique pour l’entreprise et les salariés: «Nos 25 salarié.e.s sont en chômage technique depuis 8 ou 10 jours. Nous sommes une entreprise de l’événementiel, dans ce secteur tout a été annulé. Nous avons pu reconvertir une partie de notre activité en fabriquant des écrans faciaux et des écrans de comptoir en plexiglas, ce qui a permis de faire revenir deux ou trois personnes, mais ça ne comblera jamais le chiffre d’affaires perdu. Pour moi, il n’y aura de reprise réelle qu’en septembre.»
Victime d’un incendie accidentel il y a cinq ans, LM communication se relevait à peine des conséquences du sinistre: «Nous avions dû emprunter à la banque pour repartir et nous finirons de rembourser en juin de cette année. On a dû emprunter de nouveau. Ce sera autant de chiffre qu’on ne pourra pas investir dans l’entreprise…». À l’instar du gérant du restaurant Le Commerce, les avances consenties par l’entreprise au titre du chômage partiel de ses salariés n’ont toujours pas été remboursées par la Direccte.
Ouvriers papetiers au travail à l’usine
Mais de l’autre côté du boulevard Lénine, dans l’usine de papier-carton DS Smith (ex-Europac), l’activité n’a jamais cessé, assure le directeur de la partie papeterie, David Deparis: «Nous avons pu maintenir notre activité à 100% en renforçant la sécurité sanitaire et l’hygiène. Cette mise en place rapide s’est faite en partenariat avec les syndicats. Les matières premières rentrent, nos produits sortent mais ça reste tendu. Il y a de la nervosité dans le marché.»
Raphaël Nebbak, représentant CGT de l’usine, confirme le bon respect des règles sanitaires: «Ils ont une grosse responsabilité en nous faisant travailler. Les salariés fragiles et ceux qui ont des enfants ont pu rester chez eux sans perte de salaire».
Dans le secteur de l’industrie de pointe, l’économie fonctionne encore mais au ralenti, explique Didier Dugord, dirigeant de Direct, un distributeur en matériel de câblage et de connectique qui fournit notamment l’aéronautique: «Notre carnet de commandes était plein avant le confinement, nous continuons à les honorer. Mais nous n’avons pas de nouvelles commandes, l’aéronautique est à l’arrêt. Nous avons dû mettre une quinzaine de salariés en chômage partiel. Nous n’avons pas encore demandé d’aides de l’État, l’entreprise a les reins solides.»
Le bâtiment souffre mais il tient bon
Dans les entreprises du bâtiment, les choses sont en revanche davantage contrastées que dans l’industrie lourde. Frédéric Bérard, secrétaire général de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), fait état de 42,8% des entreprises de Seine-Maritime qui ont pu poursuivre leurs activités, «mais ils ont perdu la moitié de leur chiffre d’affaires et les trois quarts d’entre elles sont des employeurs».
Beaucoup d’artisans et d’entreprises ont dû stopper leurs chantiers faute de fournitures: «les métiers de la peinture, de la couverture, de la charpente ont des problèmes d’approvisionnement, explique-t-il. Et puis pour les professionnels qui interviennent chez les particuliers, cela a été difficile au début. Les gens ne voulaient plus les laisser entrer chez eux. Mais il semble que ça se débloque maintenant. Les chantiers publics sont à l’arrêt. Aucun donneur d’ordre ne veut prendre le risque d’exposer les ouvriers.»
Le téléphone sonne dans le vide…
D’autres entreprises ont été contactées par la rédaction mais, à l’arrêt, leurs téléphones sonnent dans le vide, à l’image du traiteur Bonnaire, dont le siège social est stéphanais qui annonce sur son répondeur: «l’entreprise est en arrêt partiel jusqu’à nouvel ordre».
22/04 13h01 «Un service de restauration par Food truck (burgers, salades, frites, boissons) a été mis en place ce mercredi 22 avril pour les entreprises», indique Christophe Bonnaire, le dirigeant du traiteur Bonnaire. «Le camion est stationné sur le parking de Bonnaire (Vente Olivier) de 11h30 à 14h30». En outre, assure le traiteur, «un service de restauration en livraison via plateaux repas pour les entreprises et collectivités est en place».
Selon Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, qui s’exprimait hier 16 avril sur l’antenne de LCI, «9 millions de salariés français sont désormais en chômage partiel […] c’est-à-dire que leur salaire est payé par l’État […] c’est pas loin d’un salarié sur deux maintenant […] et plus de 700 000 entreprises, soit plus d’une entreprise sur deux».
… Et d’autres voix s’élèvent
Alors oui, les sombres perspectives esquissées par l’OCDE et le FMI sont déjà palpables à Saint-Étienne-du-Rouvray comme partout ailleurs, désormais, sur la planète. Mais d’autres voix se lèvent qui ne voient pas la crise du Covid-19 comme un «accident» sanitaire, à l’image de ce communiqué des économistes atterrés (économistes opposés à l’orthodoxie néolibérale): «là où de nombreux observateurs et économistes libéraux voient dans la crise du Covid-19 un choc exogène, conjoncturel, qui met à mal la mondialisation pourtant heureuse depuis les années 2000, il convient au contraire d’y voir un simple détonateur de la crise de la mondialisation, non la cause.»
Citant Frédéric Lordon, les économistes atterrés expliquent que le virus est «un “accusateur” qui révèle les effets des politiques néolibérales». Ils appellent à une mondialisation «fondée non plus sur les principes de concurrence et de recherche des moins-disant, mais sur la coopération, la régulation et la transition écologique et sociale».
L’après-11 mai nous le dira…