Multisol: l’accident industriel évité de peu

L’entreprise de stockage Multisol est notamment chargée de l’enfûtage des produits de Lubrizol depuis l’incendie du 26 septembre 2019. La direction a indiqué qu’aucun produit Lubrizol n’était impliqué dans l’incident du 1er janvier. Photo: Jean-Pierre Sageot

Un incident industriel est survenu la nuit du nouvel an sur le site de l’entreprise Multisol situé à Sotteville-lès-Rouen. Après plusieurs jours de silence, des témoignages anonymes ont devancé les autorités compétentes pour révéler l’information.

Huit jours, un appel anonyme, deux visites de contrôle… c’est ce qu’il aura fallu pour que la direction de Multisol reconnaisse qu’un incident «mineur» s’est bien produit au sein de son site de stockage de produits chimiques situé à Sotteville-lès-Rouen. D’après les employés interrogés anonymement par le site d’informations local 76actu.fr, «on est passé à côté d’une catastrophe bien pire que Lubrizol». À la demande de la préfecture, une enquête a été ouverte le 13 janvier par le procureur de la République de Normandie, afin de savoir si la direction de l’usine a délibérément tenté de cacher les faits.
«Les salariés qui ont transmis l’information et qui ont témoigné ont été extrêmement courageux, commente Gérald Le Corre pour l’union départementale CGT 76. On a vent de nombreux incidents au sein d’entreprises pétrochimiques. En général, la pression de la direction fait que les salariés se taisent. C’est une belle leçon, qui plus est dans une entreprise où il n’y a pas de syndicat.» Qu’aurait-on su sans de tels témoignages ?

Lorsque tout commence le 1er janvier au soir,la préfecture de Seine-Maritime est loin du compte. Atmo Normandie reçoit pourtant 86 signalements d’odeurs de «pneus brûlés», ressentis dans tout le centre de l’agglomération rouennaise. Mais l’association de contrôle de qualité de l’air fait aussi état, le même jour, d’un épisode de pollution aux particules fines dû aux températures basses, sans vent et à «l’utilisation plus intensive des feux de cheminée en ces fêtes de fin d’année». C’est cet argumentaire que reprend la préfecture pour expliquer les odeurs. Le représentant de l’État demandant néanmoins au service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de mener «plusieurs investigations » auprès de sites industriels afin de «déterminer si l’un de ces sites était à l’origine des odeurs perçues».

Emballement thermique

À ce stade, le 2 janvier, la direction de Multisol n’a signalé aucun incident. Elle va même nier pendant plusieurs jours jusqu’à ce que le 6 janvier, l’union CGT 76 diffuse un communiqué qui cible directement Multisol, et affirme qu’un incident a eu lieu la nuit du nouvel an. La Direction régionale de l’environnement,de l’aménagement et du logement de Normandie (DREAL) a reçu un appel anonyme le 5 janvier qui l’a amenée à effectuer une première visite le lendemain. Mais il en faudra une seconde le 7 pour qu’enfin soit révélé «ni un incendie, ni un dégagement de fumée», mais un «incident de fonctionnement» n’ayant «pas entraîné d’alarme directe». Multisol reconnaîtra l’incident par communiqué le 8. Les précisions sur la nature du problème viendront du témoignage d’un employé à la presse, qui évoque un emballement thermique (lire interview ci-dessous). Des questions restent en suspens: quels produits ont causé les odeurs ressenties? Ces émanations sont-elles dangereuses pour la santé? Faut-il attendre un appel anonyme pour obtenir des réponses?

INTERVIEW

Diplômé de l’Insa de Saint-Étienne-du-Rouvray, Amine Dakkoune a remporté le prix des sciences du risque 2020 de la fondation Optimind pour son travail portant sur l’analyse et la prévention des risques d’emballement thermique. C’est ce phénomène qui relie désormais Multisol aux tristement célèbres usines Seveso, Bhopal, AZF Toulouse ou Lubrizol lors de la fuite de mercaptant en 2013.

Qu’est-ce qu’un emballement thermique ?

C’est un problème mondial, très dangereux. Pour pouvoir être stockés, certains produits chimiques sont maintenus à une certaine température,parfois autour de 100 degrés.Si une erreur est faite, par exemple au moment d’actionner le fluide de refroidissement, le produit chauffe en continu. Le mélange réagit à la hausse de température et cela fait monter la pression dans le contenant qui est toujours fermé. Si rien n’est fait, c’est forcément l’explosion.

Est-ce facilement évitable ?

Dans la plupart des accidents que j’ai étudiés pendant ma thèse, c’est une erreur humaine, comme l’oubli d’éteindre ou d’allumer quelque chose,qui est à l’origine de l’incident.On ne peut pas remplacer l’humain mais on peut utiliser des machines pour l’assister du mieux possible.Malheureusement, l’idée que «lorsqu’il s’agit de stockage: rien n’arrive »est encore répandue, alors que c’est le contraire. Il faut que les entreprises s’équipent mieux, c’est une question d’investissement.

Odeurs = danger ?

«S’il y a une odeur, c’est qu’il y a des produits toxiques», avance Amine Dakkoune, docteur à l’Insa et expert des réactions chimiques. D’après la préfecture, les produits impliqués dans l’incident Multisol sont un mélange d’huile et de polymères «susceptibles de dégager des odeurs d’hydrocarbures,même si la fiche de données de sécurité du produit ne le classe pas comme produit dangereux». Le retour du «toxique mais pas trop» post-Lubrizol ? La préfecture rappelle que Multisol n’est pas un site SEVESO seuil haut, ni seuil bas, mais une Installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) soumise à autorisation.

 

Votre navigateur est dépassé !

Mettez à jour votre navigateur pour voir ce site internet correctement. Mettre à jour mon navigateur

×