Alors qu’un mouvement social d’une ampleur inédite a débuté contre la réforme des retraites d’Emmanuel Macron et son gouvernement, la rédaction du Stéphanais s’est entretenue avec Michaël Zemmour, maître de conférences en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et chercheur associé à Sciences Po au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP). Ayant travaillé sur l’économie politique de l’État social et ses transformations, ce chercheur montre que cette réforme des retraites est un point de rupture historique qui transformerait profondément le modèle social français avec des grands perdants : les futurs retraités. Au contraire, Michaël Zemmour rouvre le débat en présentant des mesures pouvant renforcer le système par répartition actuel afin de corriger les inégalités déjà présentes. Entretien.
Le Stéphanais : Peut-on considérer que nous avons l’un ou le meilleur système de retraite au monde ?
Michaël Zemmour : On a un système qui remplit son rôle, à savoir qu’il a permis de faire reculer très fortement la pauvreté des seniors. Et il permet aujourd’hui à la grande majorité des seniors de vivre uniquement de leur retraite publique avec un niveau de vie proche de celui des actifs et pas très éloigné de celui qu’ils pouvaient avoir dans la vie active. Il y a bien sûr des variations en fonction des situations individuelles. D’ailleurs, il reste de gros problèmes dans ce système, en particulier les inégalités femmes/hommes mais aussi des problèmes des gens qui ont vécu plusieurs carrières qu’on appelle les poly-pensionnés. Notre système a des problèmes mais il remplit son rôle historique : permettre aux retraités de vivre décemment. Quant à savoir si c’est le meilleur du monde, dans les pays riches, la France est clairement l’un des pays où l’engagement public pour les retraites est parmi les plus élevés, là où la plupart des pays de l’OCDE sont dans des mix avec de la capitalisation. Et en général dans les autres pays de l’OCDE, le taux de pauvreté des seniors est plus élevé.
Le système par répartition mis en place en 1946 a-t-il fait ses preuves ?
Oui, il a clairement fait ses preuves. Il y a plein de choses qui pourraient être corrigées ou améliorées et il a beaucoup évolué depuis 1945. Ce n’est pas parce que le système marche bien que le statu quo est satisfaisant. Je citais au moins deux points sur lesquels il n’est pas satisfaisant : la situation des poly-pensionnés et les inégalités femmes/hommes. Il y a un troisième point : c’est que, même sans réforme, le niveau des pensions est déjà orienté à la baisse. C’est-à-dire que les réformes précédentes vont organiser une baisse des pensions qui a commencé depuis 5-6 ans et qui va continuer. Donc de toute façon il y a des décisions à prendre pour l’avenir. Après, est-ce qu’on pourrait travailler sur le système tel qu’il existe plutôt que de basculer dans un autre système, en occurrence le système à points ? Oui clairement. Les problèmes que je soulève ne nécessitent pas de changer de paradigme. On est dans un paradigme où la retraite est plutôt vue comme une sécurité de revenu en fin de carrière et on pourrait tout à fait garder cette idée-là. Ce qui est proposé dans cette réforme, c’est de passer plutôt à un pseudo système d’épargne publique : tout au long de sa carrière, on achète des points et quand on va à la retraite, on les revend. Il n’y a pas de nécessité à faire cela.
Reporter l’âge de départ à la retraite diminue-t-il le temps de retraite en bonne santé ?
L’espérance de vie en général est en progression tandis que l’espérance de vie en bonne santé a tendance à stagner. Ce qu’on appelle espérance de vie en bonne santé, les enquêtes l’appellent espérance de vie sans incapacité. Alors il y a plusieurs façons de la calculer : à la naissance ou à 55 ans, etc. Ce que l’on sait, c’est qu’à partir de maintenant et, même depuis plusieurs années, à chaque fois qu’on allonge la durée d’activité, qu’on repousse l’âge de la retraite, on diminue le temps de retraite en bonne santé. Pour résumer : on nous dit qu’on vit plus vieux et qu’il faut donc travailler plus longtemps. C’est vrai qu’on vit plus vieux, mais si on travaille plus longtemps, cela veut dire qu’on aura un temps de retraite en pleine santé beaucoup plus faible. D’ailleurs, il y a déjà des gens qui atteignent la retraite en incapacité : entre un quart et un tiers des gens.
Le rapport de Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, prétend que le passage à un système à points serait plus égalitaire. Pourquoi n’est-ce pas forcément le cas, selon vous ?
C’est difficile de se prononcer complètement sur les conséquences du rapport Delevoye car il ne fournit pas ces simulations. Et quand on change complètement de système, comme la population est très diverse et qu’il y a des situations très différentes, on ne peut pas avoir un avis précis si on n’a pas vu les chiffres qui ne sont pas donnés. L’idée du rapport Delevoye, c’est d’appliquer les mêmes règles à tout le monde. Appliquer les mêmes règles à tout le monde, ce n’est pas nécessairement générateur d’égalités et d’équité. Un exemple qui est assez connu : c’est celui des enseignants dans l’Éducation nationale où il y a un espèce d’équilibre historique qui s’est construit. Les enseignants ont plutôt une rémunération faible compte tenu de leur niveau de qualification mais le calcul de leur retraite leur permet de partir avec une retraite correcte vis à vis de leur rémunération, dès l’âge de 62 ans. Ce que prévoit le rapport Delevoye, c’est d’appliquer aux enseignants les mêmes règles qu’à tout le monde. Ce qui les laisserait avec des rémunérations plutôt faibles mais aussi avec une retraite plus faible. Et donc de ce point de vue là, on peut se demander si le fait d’appliquer les mêmes règles à tout le monde, c’est vraiment un régime d’égalité.
« Cette réforme va créer un système où les pensions s’ajustent automatiquement à la baisse à mesure que l’espérance de vie s’allonge »
Si on veut être plus général, il y a un autre sujet : c’est le niveau des pensions. Notre système actuel est relativement égalitaire pour au moins deux raisons. D’une part, la plupart des retraités vivent en grande partie de leur pension de retraite. D’autre part, l’écart entre les différents niveaux de pensions est moins grand en général que pour les autres types de revenus (salaire et revenu du patrimoine). En fait, on peut craindre que si la retraite devient insuffisante, c’est-à-dire si elle devient juste un premier étage de revenus pour un retraité, il peut y avoir un effet d’augmentation des inégalités par le complément. C’est-à-dire, celles et ceux qui vont avoir les moyens, les bonnes carrières, vont compléter par de la capitalisation. Et les autres risquent de décrocher sérieusement en terme de revenu. Alors il ne s’agit pas seulement de regarder comment on répartit l’enveloppe des retraites mais il s’agit de se demander si ça ne prépare pas une société plus inégalitaire, entre les seniors d’une part, avec cette part de capitalisation, et d’autre part, entre les retraités et les actifs.
Cela veut-il dire qu’il y aura beaucoup plus de perdants que de gagnants ?
On ne peut pas se prononcer dans le détail mais, quand on voit la tendance générale, les perdants sont quand même les retraités de demain par rapport aux retraités de hier. Parce que s’il n’y a pas un surcroît de financement de la retraite, tout le monde perd au sens où la tendance générale est au décrochage. Après, quel décrochage pour chacun ? Et bien ce sont les détails qui nous manquent dans la réforme.
En unifiant les 42 régimes de retraite, l’effet principal amènera-t-il un nivellement par le bas du niveau des pensions sur le long terme ?
Oui c’est ça. L’unification de tous les régimes, c’est un aspect de la réforme mais, pour moi, ce n’est pas l’aspect central. C’est très mis en avant justement au nom de l’égalité parce qu’on appliquerait la même règle à tout le monde. Vraiment, l’élément central de la réforme, c’est de créer un système où les pensions s’ajustent automatiquement à la baisse à mesure que l’espérance de vie s’allonge. Par le passé, lorsqu’il y avait besoin de financer les retraites, tantôt on faisait des réformes sur le niveau, l’âge ; tantôt on mettait des nouveaux financements. Le cœur de la réforme, c’est de faire en sorte qu’à partir de 2025, l’intégralité des ajustements se fasse par partir plus tard ou avec un pension plus réduite ou une combinaison des deux. Et c’est ça le cœur de la réforme. L’unification n’est qu’un aspect de la réforme mais la grosse idée, c’est un système qui s’ajuste automatiquement à la baisse.
Si cette réforme passait, quels seraient les effets sur les futurs retraités, dans 30 et 40 ans ? Est-ce que l’âge pivot finirait par glisser en s’approchant de l’âge des 70 ans ?
Comme je l’ai déjà dit, les retraites sont déjà orientées à la baisse par différents modes de calculs, des désindexations. Donc il y a déjà une tendance à la baisse. L’enjeu de la réforme, c’est de renforcer cette baisse en rajoutant des économies. Aujourd’hui, les mesures prises doivent s’arrêter à la génération 1963 en disant : on fixe à 43 annuités la durée de cotisation et on ne va pas au delà. Ce que prévoit la réforme, c’est d’instaurer une sorte d’âge pivot : un âge en dessous duquel on ne touche pas pleinement ses points de retraite. Et cet âge glisserait, génération après génération. Ce que nous dit le rapport Delevoye c’est qu’il sera fixé à 64 ans en 2025. Et puis il augmentera d’environ un mois par an pour quasiment atteindre 67 ans pour les générations nées au milieu des années 1990. Et donc si on n’atteint pas l’âge pivot, on perd donc 5 % de la valeur de ses points par an. S’il nous manque trois ans, on perd 15 %. C’est beaucoup, cela dit même en atteignant l’âge pivot, on n’a pas la garantie d’avoir le niveau de pension qu’on a actuellement.
Dévoilé en novembre, le rapport du conseil d’orientation des retraites (COR) indique que le déficit des retraites serait compris entre 7 et 17 milliards d’euros en 2025. Avant le basculement vers un système universel en 2025, le gouvernement pourrait mettre en œuvre une pré-réforme avec cet âge pivot et une augmentation progressive des durées de cotisations pour cinq générations entre 1959 et 1963. Quelle est la stratégie de cette pré-réforme ?
Manifestement, un partie du gouvernement est très préoccupée à faire baisser la dépense publique sur les pensions et de la faire baisser le plus vite possible. Et donc il y a une volonté qui s’était déjà manifestée, il y a quelques mois, de mettre en œuvre des mesures d’économies rapides avant même la réforme. Avec l’opposition des syndicats, y compris de la CFDT qui est plutôt favorable à la réforme, cela avait été repoussé. Et suite à cela, le gouvernement a commandé un rapport inhabituel et en urgence au Conseil d’orientation des retraites (COR) pour poser la question du déficit. Il compte s’appuyer sur ces prévisions de déficit pour reproposer des mesures d’économie à court terme.
Le rapport du COR qui été rendu nous dit plusieurs choses, il nous dit qu’il y a possiblement un déficit mais ça dépend largement de la règle que l’on retient pour faire les calculs. En fait, selon certaines règles, tout simplement le déficit est faible voire proche de zéro, selon d’autres il est plus élevé. Mais ça dépend essentiellement de conventions de calculs, pas d’erreurs de prévisions. La deuxième chose que nous dit le rapport du COR, c’est que le déficit n’est pas généré par une explosion des dépenses de retraites car, justement, les retraites sont déjà en train de baisser. Cela est généré par un recul des moyens publics alloués aux pensions.
« On a rarement vu une réforme dont les mesures d’économies concernent potentiellement toute la population en âge de voter »
Et troisième élément, le rapport du COR nous dit comment on peut résorber ce déficit et il y a deux moyens. Soit relever les moyens publics, alors ce n’est pas un prix énorme, c’est de l’ordre de 1% de cotisations à étaler sur cinq ans. Soit des mesures d’économie. Alors si on veut faire des mesures d’économies et que ça paye vite dans le domaine des retraites, et bien il faut taper fort. Pour taper fort, la première hypothèse est une nouvelle désindexation pour les pensions des retraités. Il y en a déjà eu une sous les gouvernements Hollande et Macron. Et ce serait encore une nouvelle vague de désindexations. La deuxième hypothèse pour faire des économie : augmenter l’âge minimal du taux plein à 63 ans ou plus. Troisième hypothèse : allonger la durée de cotisation, éventuellement jusqu’à 44 ans, voire 46 ans dans les scénarios les plus noirs. Et tout cela concernerait les générations proches de la retraite nées entre 1959 et 1963.
En demandant aux Français des mesures d’économie avant la réforme dite, est-ce que ça peut mettre le feu aux poudres ?
Je ne lis pas dans l’avenir. Mais ce que l’on peut remarquer, c’est que c’est très rare qu’une réforme des retraites concerne autant tout le monde, en particulier en France. D’habitude, ça passe ou ça passe pas. Mais, en général, les gouvernements les font à la découpe : une fois dans les régimes spéciaux, une fois dans la fonction publique, une fois dans le privé. Quand la réforme a été conçue, il y avait un peu le message que les personnes trop proches de la retraite ne seraient pas concernées car, justement, elles pourraient passer de justesse. Et la nouveauté avec le rapport du COR, c’est que tout le monde est concerné, non seulement toutes les générations qui partiront après 2025 mais aussi les gens qui ne sont pas encore à la retraite, voire peut-être les retraités, mais là ce n’est pas encore sûr. Et donc, on a rarement vu une réforme dont les mesures d’économie concernent potentiellement toute la population en âge de voter.
Mais “en même temps”, le gouvernement brouille les pistes puisqu’il y a quelques semaines il a sorti la clause du grand-père avec le fait que cette réforme des retraites s’appliquerait seulement en 2060 pour tous ceux qui ne sont pas encore actifs aujourd’hui…
Oui, cette clause du grand-père est un peu difficile à comprendre car si on la prend au pied de la lettre, cela veut dire que la réforme s’appliquerait seulement dans les années 2060. J’ai du mal, en tant qu’observateur, à envisager qu’un gouvernement passe de l’énergie politique à mettre en place une réforme qui ne s’applique qu’en 2060.
Depuis 30 ans, les précédents gouvernements ont mis en place plusieurs réformes des retraites qui ont affaibli le niveau des pensions. Est-ce-qu’on peut dire que la réforme des retraites de l’ère Macron, c’est la plus grosse attaque de ce modèle social français autour des retraites ?
Elle se présente comme ça, c’est clair. C’est une réforme de l’ensemble du système et pas simplement d’un paramètre d’âge ou de durée. Et elle se présente même quasiment comme la dernière des réformes car après il n’y aura plus de réformes nécessaires. Et de manière un peu plus générale, on sent que dans la politique du gouvernement, il y a non seulement une volonté de réformer les structures, de modifier la manière dont fonctionne économiquement et socialement le pays. Et cette réforme des retraites en fait partie. On disait précédemment que ce type de retraite par répartition, c’est un peu une originalité française. Il est clair que pour le marché du travail, le monde de la protection sociale, modifier à ce point les retraites, c’est modifier en profondeur le modèle économique et social français. Notamment en dégageant de la place pour une part de capitalisation qui n’est pas très présente dans notre système, aujourd’hui.
Les retraites ont subi plusieurs réformes : 1993, 2003, 2010 et aussi 2013. Globalement, quels ont été les impacts de ces réformes sur les retraités et les actifs ?
En fait, il y a des effets qui n’ont été visibles qu’à long terme. Globalement, ces réformes ont conduit à réviser les calculs des droits de retraite à la baisse. Sauf que dans un premier temps, comme les carrières avaient tendance à s’améliorer, les retraites continuaient à s’améliorer. Plus précisément, les carrières des femmes avaient tendance à s’améliorer, donc les retraites des femmes s’amélioraient et en moyenne elles restaient identiques. Ce qui se produit maintenant depuis le début des années 2010, c’est un décrochage du niveau de pensions des retraites, c’est à dire du taux de remplacement par rapport au dernier salaire. Et aussi par rapport au niveau de vie des actifs qui commence à baisser de manière assez sensible.
La deuxième chose qu’il y a eu, c’est le report d’âge puisque jusqu’en 2010, l’âge légal, c’était 60 ans. Alors que maintenant, l’âge légal est à 62 ans. Et se développe cette âge entre deux qui existait déjà avant : un âge ni en emploi et ni en retraite. C’est-à-dire que la moitié des personnes au moment où elles liquident leur retraite, elles ne sont déjà plus en emploi. Voilà, les deux choses qui ont changé, c’est que les retraites ont commencé à baisser assez sensiblement : pas en montant mais par rapport au dernier salaire. Et la deuxième chose, c’est qu’on liquide sa retraite plus tard, ce qui ne veut pas dire qu’on reste forcément en emploi jusqu’à 62 ans.
« Il y a un système qui marche : c’est celui des cotisations sociales »
Y a t-il une volonté d’aligner un peu la France sur les modèles des autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ?
Oui. Il y a beaucoup de différences entre les pays de l’OCDE mais cela marche quand même dans les pas des évolutions qui ont eu lieu partout : vers des retraites orientées à la baisse, un décrochage assez marqué du niveau de vie des seniors et un développement d’un volet de capitalisation pour ceux qui peuvent. C’est un petit peu ce que l’on retrouve en Allemagne et en Suède notamment.
Face à ces scénarios pas forcément très agréables, quelles sont les alternatives à cette réforme ? À la fois pour garder le système par répartition et même le compléter.
Effectivement, savoir quel est le bon système, c’est une question très politique mais il y a des éléments qui sont absents du débat tel qu’il est formulé aujourd’hui et qu’on pourrait réintroduire dans le débat. Clairement, la question de la conception de la retraite, est-ce que c’est une sécurité du revenu en fin de carrière ou est-ce que cela doit refléter toute la carrière ? C’est une question philosophique et politique importante, qui est notamment liée aux inégalités femmes/hommes. Plus on va regarder l’ensemble de la carrière, plus on va mettre en difficulté les carrières heurtées. Alors il y a des dispositifs qu’on appelle de solidarité pour essayer d’amortir ça mais il y a aussi une autre solution qui n’est de regarder que les meilleures années de carrière dans le calcul de la retraite, ce que l’on faisait un peu par le passé. Et de manière générale, la question de mettre en place un système de retraite où les écarts de retraites femmes/hommes ne soient pas plus importants que les écarts de salaire, c’est une question qui n’est, pour l’instant, pas résolue.
Élargir les cotisations peut-il être suffisant pour équilibrer le financement des retraites ?
La deuxième question importante est celle du financement. On a toujours dit dans toutes les analyses que pour équilibrer un système de retraite, on pouvait revoir les droits, soit en touchant à l’âge ou soit en touchant au montant. Ou on pouvait accompagner les retraites d’un surcroît de financement. Il y a quelque chose d’assez surprenant et d’assez radical dans la position du gouvernement depuis le début, c’est de dire : à partir de maintenant on gèle la part du revenu national consacré aux retraites, on gèle voire on la diminue légèrement. C’est formulé de différentes manières : geler le taux de cotisation à 28 %, geler la part du PIB consacré aux pensions à 14 % alors que l’on sait que, dans le même temps, le nombre de retraités dans la population va augmenter assez fortement. Même si on repousse un peu l’âge, la part des retraités dans la population va augmenter. Et donc ce que l’on pourrait refaire pour ouvrir le débat, c’est se demander dans quelle mesure on peut accompagner cette augmentation du nombre de retraités, pas seulement de mesures d’économie, mais aussi de surcroît de financement. Et pour les financements, il y a un système qui marche : c’est celui des cotisations sociales. Ce que montre le Conseil d’orientation des retraites, c’est qu’avec des hausses de cotisations assez modérées, on pourrait maintenir ou amoindrir très fortement les baisses de pensions. Puis, après, on pourrait réfléchir à d’autres sources de financement, par exemple revenir sur certaines exonérations de cotisations sociales.
Enfin, la troisième chose que l’on pourrait faire pour rendre le système plus juste, qui est un point souvent cité dans la volonté de réforme, c’est de mieux prendre en compte les carrières des gens qui passent d’un régime à l’autre. On les appelle les poly-pensionnés et aujourd’hui, ils subissent des injustices dans le calcul de leurs droits. Cela ne nécessite pas forcément de passer à un régime à points, cela pourrait se faire dans le cadre du régime actuel, mais en tout cas, ces personnes sont clairement discriminées aujourd’hui.
Le débat sur les retraites est donc verrouillé par des solutions uniquement austéritaires. Que proposez-vous pour le déverrouiller ?
Le déficit est relativement une petite question qui concerne le court terme. Au delà du déficit, ce que dit le gouvernement, c’est « on ne mettra pas un sou de plus » et quand on ne met pas un sou de plus, cela veut dire que ça va baisser. Une question à mettre en débat à mon avis : est-ce qu’on est vraiment sûr qu’on ne veut pas mettre des moyens supplémentaires ? Je ne dis pas ça par une fascination de la dépense, mais vu les niveaux de pensions qui s’annoncent, les personnes qui vont avoir les moyens vont dépenser plus pour leur retraite par de la capitalisation. Quelque part, cotisations privées ou publiques, ce n’est pas beaucoup plus cher. Donc la question est plutôt celle là : quelle part de retraite privée veut-on pour demain ? Mais si on préfère de la retraite publique, effectivement on peut augmenter un peu les cotisations.