Risques industriels : toutes et tous « résilients » de la République…

Cinq ans après l'accident de Lubrizol, la Cour des Comptes souligne toujours des insuffisances de l'Etat en matière de contrôle des usines. (Rapport "La gestion des risques liés aux installations classées pour la protection de l’environnement dans le domaine industriel » - 1er février 2024.) Photo : Jean-Pierre Sageot

Le mois d’octobre 2024 a été rythmé par la Journée nationale de la résilience (JNR), les « Journées de la culture du risque » et une simulation d’accident industriel. Autant d’incitations à la « résilience », un concept détourné de son sens premier, comme un écran de fumée dirigé vers les citoyens.

Que faisiez-vous mardi 15 octobre au matin lorsque le message d’alerte du dispositif national FR-Alert s’est déclenché ? Une sonnerie stridente a retenti sur presque tous les téléphones présents dans la zone de huit kilomètres autour de l’usine Lat Nitrogen du Grand-Quevilly (ex-Borealis, site dangereux classé Seveso), là où était simulée une fuite de gaz toxique. Il s’agissait d’un exercice « de grande ampleur » mené par la Préfecture de Seine-Maritime. Le début du message indiquait « Alerte extrêmement grave ». La sonnerie s’est même entendue en direct sur l’antenne de France Bleu Normandie : « 10h15, le “Coup de fourchette” de Nathalie Helal nous embarque aujourd’hui dans l’Eurostar direction Londres pour évoquer une spécialité bien connue des Britanniques… Qu’est-ce qui se passe ? Je crois qu’il y a une alerte…. Le fish and chips Nathalie ! »

Mardi 15 octobre, les services locaux de l’État testaient pour la première fois le dispositif d’alerte par SMS « FR-Alert » qui envoie un signal sonore strident sur tous les téléphones d’une zone donnée, peu importe le modèle de téléphone et même s’il est en mode silencieux. – Photo : Jérôme Lallier

C’est seulement après la chronique culinaire longue de deux minutes que le journaliste Emmanuel Grabey est arrivé à la rescousse pour informer sur l’origine de l’alarme : « Ceci est un message d’alerte […]. Une fuite d’ammoniac qui survole la métropole, il s’agit d’un exercice […]. Il s’agit de voir si toutes les procédures sont bien rodées et si les messages d’alerte fonctionnent bien. Restez sur France bleu, c’est la radio référence pour avoir toutes les consignes de sécurité. » La radio a également diffusé un message « Orsec » (Organisation de la réponse de sécurité civile) indiquant à la population les consignes à respecter : « Rejoignez un espace clos. Écoutez la radio. Ne téléphonez pas pour ne pas encombrer les lignes de communication. N’allez pas chercher vos enfants à l’école. »

Ces messages vous rendent anxieux ? Ça ne devrait pas

Ces messages vous rendent anxieux ? Ça ne devrait pas. Depuis 2022, tout est fait pour que chacun soit préparé à la catastrophe. Du 9 au 19 octobre dernier, la troisième édition des « Journées de la culture du risque » était organisée au sein de la métropole rouennaise. Tout un chacun pouvait, sur son temps libre, participer à des visites d’usines, une randonnée sur la gestion des inondations, des spectacles d’impro sur le thème du risque… Par ailleurs, le 13 octobre est depuis 3 ans la journée « Tous résilients face aux risques » instaurée par le gouvernement avec 3 000 événements organisés en 2023. Objectif : que « chaque citoyen puisse connaître les risques majeurs qui l’entourent et s’informe sur les comportements de sauvegarde à adopter ».

La “résilience”, un concept détourné

Si, avec tout ça, une éventuelle catastrophe naturelle ou industrielle vous inquiète encore… c’est que vous n’êtes tout simplement pas « résilients ». La résilience ? Cette expression apparue lors de la crise sanitaire du Covid-19, reprise politiquement jusqu’au sommet de l’État… mais détournée de son sens. La résilience est un processus popularisé par le neuropsychiatre français Boris Cyrulnik qui a décrit comment un cerveau atrophié peut reprendre un bon développement si l’on soutient les gens blessés ou si l’on accompagne et réorganise sa récupération. Problème : la « résilience » prônée dans le cadre des journées du risque serait désormais une qualité que chacun doit acquérir pour devenir « acteur de sa propre sécurité » et « se préparer à la survenance d’une catastrophe ». Elle devient une attitude à adopter en amont et non plus la capacité à se réparer a posteriori. Surtout, elle n’implique pas les notions collectives, de « soutien des gens blessés » et « d’accompagnement » à la récupération. Il en va désormais de la réaction attendue de chaque individu.

Insuffisances de l’État en matière de contrôles

Le médecin Boris Cyrulnik s’est lui-même agacé de cette récupération à travers un ouvrage intitulé Les deux visages de la résilience paru en 2024 : « Puisque vous êtes résilient, vous êtes un surhomme, donc débrouillez-vous sans État, sans aide, sans les autres. […] C’est l’opposé de la philosophie, de la biologie, de tout », a-t-il dénoncé sur le plateau de La Grande Librairie sur France Télévisions. Plutôt que des contresens, à quand l’organisation des « journées d’entretien, de contrôle, de sécurité et de dépollution des sites industriels » ? Pour être acceptable, la « culture du risque » suppose un prérequis : le respect des prérogatives de l’État et des entreprises concernées en matière de contrôles et de prévention. Or, en février 2024, un rapport* de la Cour des comptes soulignait les insuffisances de l’État sur ce sujet. Cinq ans après la catastrophe de Lubrizol, elle préconisait « un renforcement du dispositif de sanctions et un développement de la culture de sécurité ». « Culture de sécurité » d’abord et « culture du risque » ensuite (et non l’inverse) : cela va de pair, comme le fish and chips qui, d’après France Bleu, se sert « impérativement » avec « une généreuse portion de purée de petits pois, des cornichons à l’aneth, une pincée de sel et un filet de vinaigre de cidre ! »

*Rapport : « La gestion des risques liés aux installations classées pour la protection de l’environnement dans le domaine industriel » – 1er février 2024.

Risques : un document pour les recenser tous

Les communes concernées ont l’obligation de réaliser un Document d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim) qui vise à informer les citoyennes et citoyens sur les risques majeurs (naturels ou industriels) auxquels ils peuvent être exposés dans leur commune. Stéphanaises et Stéphanais peuvent le consulter en mairie ou sur le site de la Ville. Il est également possible de s’informer sur ces risques en tapant son adresse sur www.georisques.gouv.fr

Sites Seveso : une carte pour les surveiller tous

Suivant l’initiative de Christophe Holleville de l’Union des victimes de Lubrizol, la Métropole Rouen Normandie tient à jour une carte interactive et sur laquelle on peut consulter les derniers contrôles effectués dans les 23 sites Seveso du territoire.

Bon gestes : un guide pour les connaître tous

Un guide pratique sur les risques (distribué à tous les habitantes et habitants par la Métropole Rouen Normandie) recense tous les risques naturels et industriels du territoire. On y trouve les informations nécessaires pour réagir en cas d’accident naturel ou industriel sur et autour du territoire.

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