Espaces limite Date : vendredi 22 mai 2015 Le regard du photographe Éric Bénard sur les frontières de la ville. « Sur ce tronçon de la rue Isaac-Newton, la différence entre les deux goudrons marque une limite aujourd’hui disparue, celle qu’il y avait entre la ville et la forêt. La ligne est nette et précise, comme le tracé d’une frontière sur une carte. On s’attendrait à voir la guérite d’un garde-barrière… C’est désormais un lieu de passage intensif, le souvenir de cette frontière s’effacera peu à peu sous les pneus des voitures et des camions. » «Hors cadre, les péniches et les pousseurs glissent sur la Seine, l’une des frontières naturelles de la commune avec la forêt. Le chemin de halage est peu fréquenté, le fleuve comme oublié derrière la succession des frontières artificielles que sont la voie de chemin de fer, le boulevard Lénine et la zone industrielle. La glissière de sécurité concrétise la limite administrative entre le territoire stéphanais et celui, de quelques mètres seulement à sec, géré par Voies navigables de France (VNF). Je me dis que très peu d’espaces échappent à la main de l’homme.» «À la jonction des rues de Verdun et de l’Amiral-Cécille, un passage permet de communiquer, sous la voie ferrée, avec la rue de Saint-Adrien, quartier de l’Industrie. À cet endroit, comme un peu plus loin au-dessus de l’avenue Olivier-Goubert, la voie ferrée constitue comme le mur d’une fortification médiévale, avec sa porte et son pont-levis. Une impression qui contraste singulièrement avec ce passage pour piéton qui me fait penser à la pochette du mythique album Abbey Road des Beatles.» «La rue Félix-Faure s’arrête net, en cul-de-sac. Nous sommes en bordure du futur quartier Claudine-Guérin que cette voie desservira un jour. Je me tourne naturellement vers la perspective barrée au fond par les coteaux du fleuve. J’aime bien la diversité de l’habitat, enjeu essentiel de l’aménagement d’un territoire et signe de dynamisme.» «Discrète, la rue Claudine-Guérin ! Elle dessert quelques pavillons et les jardins ouvriers de La Glèbe. Elle se prolonge par un étroit chemin longeant un bois au cœur de la ville, celui du Val l’Abbé. Peu de passages. La voiture de la police municipale tombe à point pour la photo. Cette barrière revêt subitement un caractère de poste-frontière.» «Sur l’avenue des Canadiens, je suis le seul piéton à circuler. J’apprécie d’autant plus cette perspective urbaine très ouverte. J’essaie de jouer graphiquement avec le ciel et la juxtaposition des espaces, soulignée par d’élégants candélabres et ponctuée par la tour du château d’eau au fond. À ses pieds, on voit l’ancienne avenue de Felling, qui, un temps, a été destinée à devenir une autoroute urbaine. On y a construit des maisons, cette plaie urbaine est aujourd’hui totalement cicatrisée.» «Le mur qui longe la rue Pierre-Sémard n’est pas la grande muraille de Chine mais il est tout de même très long ! Derrière ce mur d’enceinte, se trouve une immense enclave au cœur de la ville, le Centre hospitalier spécialisé du Rouvray. C’est calme. Et, de l’autre côté de la chaussée aux multiples rapiéçages, de pimpantes petites résidences.» «”Terminus !” Avec l’aménagement du Technopôle du Madrillet et la ligne de métro, la ville a encore repoussé ses frontières. Mais ce terre-plein sablonneux n’est peut-être que le marqueur provisoire d’une limite encore toute provisoire.» «Pour me placer du point de vue d’un de ces placides mammifères, j’ai dû me frayer un passage dans l’intense circulation des voitures et des poids lourds. Dans mon dos, un morceau de Saint-Étienne-du-Rouvray se trouve comme coincé derrière le rond-point aux Vaches. Pour les Stéphanais qui vivent là, ce lieu est comme un mur, certes peint aux couleurs d’une vache, mais infranchissable!» «Ici, c’est surtout le symbole qui m’intéresse. Derrière l’entrée du Technicentre de Rouen Quatre-Mares de la SNCF, à cheval sur Saint-Étienne-du-Rouvray et Sotteville-lès-Rouen, c’est l’histoire régionale cheminote qui continue de s’écrire. Tout un monde de machines et de labeur que j’irai bien photographier.» «”Vous n’êtes pas un détective privé au moins ?” Après avoir rassuré cette personne s’interrogeant sur ce que je suis en train de photographier dans le cimetière Centre, j’organise mon cadrage afin de réunir des entités aux fonctions sociales différentes, et qui cohabitent dans un espace ramassé : les maisons, le Rive gauche, le Café des sports et le cimetière.» «Sur cette voie de grande circulation délimitant Saint-Étienne-du-Rouvray et Grand-Quevilly, je tourne le dos au parc des Expositions pour porter mon attention sur cet aménagement hétéroclite mais non sans charme. Il m’évoque la belle expression du démographe Hervé Le Bras, celle de «filament urbain» [éléments qui soudent les unes aux autres les villes situées le long d’un axe de communication, ndlr].»