La lutte des Pap Chap
Date : mardi 17 mars 2015
Jérôme Lallier, l’un des quatre photographes indépendants du “Stéphanais”, a suivi les salariés de la papeterie Chapelle Darblay de Grand-Couronne pendant une partie de leurs quatre mois de lutte contre le projet d’arrêt de la machine n°3 par le groupe UPM, propriétaire du site.
La fin de la PM3 causerait la suppression de 196 emplois, soit plus de la moitié des 360 salariés qui font tourner l’usine jour et nuit. Grâce à leur combativité, les salariés et la CGT ont obtenu un sursis jusqu’à fin juin pour proposer une alternative à l’arrêt de la machine.
“Pour cette photo, les gars sont arrivés de partout en quelques minutes. Ils se sont tous mis devant la PM3 et ont tout de suite levé le poing. Ils veulent à tout prix défendre leur outil de travail. C’est plus de la moitié des effectifs de l’usine que le groupe projette de supprimer, et tout ça dans une boîte qui gagne de l’argent, qui a touché le CICE et qui devrait donc, normalement, embaucher en contrepartie. C’est un milieu d’hommes. Dans l’industrie, c’est comme ça.”
“Le 10 juin, je suis aux journées portes ouvertes de l’usine. Je me promène et je vois ces caisses d’outillage. Elles appartiennent à une entreprise extérieure qui intervient sur le site. Ces boîtes me parlent tout de suite, j’aime la peinture abstraite… Je pense aussi que si la PM3 ferme, ce seront aussi des emplois externes qui seront détruits…”
“Ce qui me choque, c’est que ce soit les syndicalistes qui doivent trouver des solutions pour sauver leur outil de travail. La part de l’investissement va maintenant aux actionnaires, c’est ça qui tue l’industrie. Alors, pour les ouvriers, il faut se faire entendre.”
“Chapelle Darblay est un acteur majeur dans le recyclage du papier en France, c’est un bel exemple de l’économie circulaire et écologique. La pâte à papier est fabriquée à 100% à base de papier recyclé issu de collectes sélectives.”
“C’était après une manif des Pap Chap devant l’hôtel de ville de Rouen, le 17 février 2015. On peut se demander si un artiste de land art n’est pas passé par là…”
“Il y avait beaucoup d’émotions lors de la journée portes ouvertes aux familles des salariés, le 21 février. Mohamed, opérateur à l’unité de désencrage, explique à ses enfants Raida et Salma la fabrication de la pâte à papier. Tous sont fiers de leur métier, ils ont envie de le transmettre. Quand on est gamin, on ne comprend pas toujours pourquoi papa rentre fatigué de l’usine. Là, ils ont pu entendre le bruit, ressentir la chaleur, les vibrations. Ils ont vu et compris les conditions de travail de leurs parents.”
“Ce qui m’intéresse c’est le côté graphique. Les convoyeurs amènent le bois dans la chaudière biomasse qui brûle aussi les boues de désencrage. C’est très technique. Le site occupe de grosses surfaces, si le groupe supprime les 196 emplois, on se demande comment ils vont pouvoir continuer à le sécuriser.”
“350.000 tonnes de papier journal sortent chaque année de la papeterie Chapelle Darblay. Il y a un savoir-faire. Ce papier sert à fabriquer des journaux. La presse est en crise, alors que se passera-t-il quand il faudra importer tout le papier journal en France? Et puis, il y a cette chose: la MP3 fabrique des papiers de couleur, ceux qui servent notamment pour les pages éco ou pour la bourse. C’est ironique quand on y réfléchit: les licenciements voulus par le groupe UPM obéissent à une logique boursière… Alors, sur quoi imprimeront-ils leurs bons résultats si la MP3 s’arrête?”
“Pour moi, ce geste, c’est celui du savoir-faire. Le papetier vérifie de cette manière l’à-plat du papier. On a l’impression d’une caresse. Il y a de l’humain. On voit que les gars aiment leur boulot.”
“J’aurais voulu faire cette photo différemment. À gauche, on voit le site de Petroplus qui a fermé. Les barrières de Chapelle Darblay sont encore ouvertes, mais la menace d’une fermeture plane, elles pourraient se refermer… Ça serait la fin de l’industrie dans le bassin de Rouen. Et sans industrie, il n’y a plus d’emplois. Ce n’est pas le tourisme qui va nous faire vivre.”
“Je ne sais pas trop comment légender cette photo. Il y a ce mur. On est devant le mur, mais les gars vont trouver une solution. Et elle ne peut être que politique, cette solution. Il faut que les politiques aient le courage de faire les bons choix. Ce n’est pas normal de se retrouver devant un mur, mais la lutte permet de le dépasser!” Le 6 mars 2015, les Pap Chap rencontraient les élus locaux et le président de Région afin de présenter un projet alternatif (fabrication de papier Kraft) pour la PM3. Une étude industrielle d’un montant de 140.000€ sera financée à 80% par la Région.